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S'il
est vrai que, dans un texte, la dissémination du sens
paraît considérable, elle ne nous semble, cependant, ni
chaotique ni infinie, mais, contrairement à ce que suggère
la vogue "déconstructionniste", comme fortement balisée,
déterminée par le contexte, le cotexte, le type de " '
jonction", le type de "position", le type de "suasion"
(per-suasion/di-suasion)...
Il est des œuvres entières qu'on pourrait résumer sur
le plan relationnel en : "persuasion", "disjonction",
" Tu dis que..., eh bien, moi, je te dis que...", "Je
suis en haut, tu es en bas", etc. C'est le geste fondamental
d'un Spinoza, d'un Nietzsche, d'un Marx...
D'autres qu'on pourrait résumer en : "dissuasion", "Il
faut cimenter le lien conjonctif", "Eux sont en bas, nous
sommes en haut", etc., c'est, globalement, le cas du discours
politique, du discours religieux...
Une "ligaro-analyse" d'un texte, d'une croyance, d'une
théorie, d'un objet, a encore le mérite de débrouiller
pourquoi il y a dérive cancéreuse du sens, pourquoi un
commentaire prend telle ou telle direction, pourquoi certains
préfèrent se fourvoyer hors des "limites de l'interprétation"
18, pourquoi il a fallu plus de deux
mille ans pour se débarrasser de la physique d'Aristote,
pourquoi Darwin scandalise, pourquoi Salman Rushàie risque
la mort, pourquoi les femmes africaines s'acharnent encore
à perpétuer l'excision, tout en sachant pertinemment qu'elles
accomplissent là un acte grave de mutilation; ce qui différencie
une relique d'un bout de bois, un temple d'une maison,
une histoire sainte d'une légende profane...
Austin et Searle nous proposent cinq manières d'employer
la langue. Pour le premier, il y aurait "le verdictif
[qui] conduit à porter le jugement, l'exercitif
à affirmer une influence ou un pouvoir, le promissif
à assumer une obligation ou à déclarer une intention,
le comportatif à adopter une attitude, l'expositif
à manifester plus clairement ses raisons, ses arguments,
bref à élucider la communication" 19.
Quant au second, il affirme qu'en parlant, "Nous
disons à autrui comment sont les choses (asserlifs),
nous essayons de faire faire des choses à autrui
(directifs), nous nous engageons à faire des choses
(promissifs), nous exprimons nos sentiments et nos attitudes
(expressifs) et nous provoquons des changements dans le
monde par nos énonciations (déclaratifs)"
20.
Notons, toutefois, que cette classification, présente,
selon nous, un défaut majeur, celui de ranger les
exercitifs ou les directifs dans une classe à part,
ce qui laisserait à penser qu'il existe dans l'univers
des actes qui n'impliquent aucun faire faire.
Echappent, encore, à cette catégorisation,
tous les actes non-verbaux, qui pourtant n'agissent pas
moins que des performatifs : un drapeau ne me donne-t-il
pas l'ordre de me soumettre à mon pays ? Un rite,
celui de perpétuer les us et coutumes de mon groupe
? Se dérobe, enfin, à cette catégorisation,
la notion de "liens", de "forces cohésives"
ou "schismatiques", de "positions",
etc.
En un mot, nous souhaitons que la linguistique, en tenant
compte de la "ligaro-activité" des actes
de langage, passe du stade de la "chimie" à
celui de la "physique nucléaire" du signe.
D'ailleurs, qui sait si Austin n'a pas lui aussi sacrifié
à la métaphore de l'atome radioactif ? Est-ce
pur hasard si, selon lui (à l'image des rayons
qu'émet l'uranium), il émane seulement trois
forces des actes de langage : locutoires, illocutoires,
perlocutoires ? |
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18
U. Eco, Les limites de l'interprétation,
Paris, Grasset, 1992.
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19
J.-L. Austin,
op. cit., p. 163. |
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20
J.-R. Searle,
op. cit., p. 32. |
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