Nouveaux Actes Sémiotiques
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albert assaraf
Quand dire, c'est lier : pour une théorie des ligarèmes
 
La pragmatique apporte, il est vrai, un début de réponse. Du point de vue d'Austin, en énonçant "Jésus n'était qu'un homme", j'aurais commis trois actes à la fois : "l'acte locutoire [... ] qui possède une signification; l'acte illocutoire où le fait de dire a une certaine valeur; et l'acte perlocutoire, qui est l'obtention de certains effets par la parole" 1.

Ainsi donc, selon Austin, quand nous parlons, nous faisons plus qu'aligner des signes et dire des choses, nous professons notre croyance, nous exprimons une volonté, nous nous assignons un rôle, nous exerçons des forces sur autrui.

Dans ce sens, l'énoncé "Jésus n'était qu'un homme", a effectivement quelque chose d'insoutenable pour le croyant. Ce n'est plus une phrase qu'il entend, mais un coup de poing qu'il reçoit; une invitation, sinon une incitation, à ne plus croire au "Jésus est le fils de Dieu" de sa foi. Ce qui n'est évidemment pas le cas d'une phrase comme "Le soleil n'était qu'un glacier". L'une résonne comme une "bombe", l'autre comme une figure de style.

Pourtant, à regarder de plus près, on ne saisit pas pourquoi ces deux phrases ne sont pas effectivement dotées de la même force, alors qu'elles ont une structure syntaxique identique. Dans nos deux propositions, n'avons-nous pas la même valeur illocutoire iniplicite: l'affirmation ? Alors, pourquoi dans un cas l'acte d'affirmer est-il perçu comme "violent" (ou "violant"), et dans l'autre comme "pacifique" ?

A cette question Searle pourrait répondre qu'il s'agit ici d'un acte de langage indirect, pareil à celui qui existe dans "Peux-tu me passer le sel ?"

Tout locuteur a, effectivement, la possibilité d'émettre un type d'acte (en l'occurrence l'ordre de passer le sel) sous couvert d'un autre type d'acte (ici l'interrogation "Peux-tu me passer le sel ?"), que l'auditeur peut détecter après une série complexe d'inférences autour des lois conversationnelles de Grice. Voilà pourquoi à "Peux-tu me passer le sel ?" nous ne répondons jamais par "Oui", ce qui serait le plus logique; nous donnons le sel comme si nous avions entendu l'ordre "Passe-moi le sel" 2.

Il en va de même pour "Jésus n'était qu'un homme". Si l'oreille de l'auditeur chrétien entend une affirmation, son esprit, quant à lui, capte une exhortation à la rébellion : "De mes guides spirituels, j'ai appris que Jésus était plus qu'un homme, qu'il était le fils de Dieu. Or, cet individu m'affirme le contraire. C'est donc qu'il veut contredire ma foi. Mais s'il veut contredire ma foi, c'est donc pour la disqualifier à mes yeux, c'est donc qu'il en veut à l'Eglise, c'est donc qu'il a l'intention de lui faire du tort, c'est donc qu'il fait campagne pour que tous nous la rejetions, c'est donc mon ennemi puisqu'il cherche à me faire faire des choses qui vont à l'encontre de celle-ci..."

Sommes-nous pour autant au bout de notre quête ?
Non. Car Searle ne résoudrait ici que le problème que soulève la disproportion des forces entre la première affirmation et la seconde. Mais cela ne m'explique pas pourquoi dans "Jésus n'était qu'un homnie" l'esprit de l'auditeur chrétien se met aussitôt à fuser dans tous les sens à l'affût d'actes indirects, alors que dans "Le soleil n'était qu'un glacier" son esprit, calme et serein, prendra très certainement l'acte d'affirmation à la lettre, rangeant la non-pertinence du contenu de la phrase sur le compte d'une simple figure de discours. La question reste entière.
 

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Université de Limoges
 
1 J.-L. Austin, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil, 1970, p. 129.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
2 J.-R. Searle, Sens et expression, Paris, Minuit, 1982, pp. 87-89.