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La pragmatique
apporte, il est vrai, un début de réponse.
Du point de vue d'Austin, en énonçant "Jésus
n'était qu'un homme", j'aurais commis trois
actes à la fois : "l'acte locutoire [... ]
qui possède une signification; l'acte illocutoire
où le fait de dire a une certaine valeur; et l'acte
perlocutoire, qui est l'obtention de certains effets par
la parole" 1.
Ainsi donc, selon Austin, quand nous parlons, nous faisons
plus qu'aligner des signes et dire des choses, nous professons
notre croyance, nous exprimons une volonté, nous
nous assignons un rôle, nous exerçons des
forces sur autrui.
Dans ce sens, l'énoncé "Jésus
n'était qu'un homme", a effectivement quelque
chose d'insoutenable pour le croyant. Ce n'est plus une
phrase qu'il entend, mais un coup de poing qu'il reçoit;
une invitation, sinon une incitation, à ne plus
croire au "Jésus est le fils de Dieu"
de sa foi. Ce qui n'est évidemment pas le cas d'une
phrase comme "Le soleil n'était qu'un glacier".
L'une résonne comme une "bombe", l'autre
comme une figure de style.
Pourtant, à regarder de plus près, on ne
saisit pas pourquoi ces deux phrases ne sont pas effectivement
dotées de la même force, alors qu'elles ont
une structure syntaxique identique. Dans nos deux propositions,
n'avons-nous pas la même valeur illocutoire iniplicite:
l'affirmation ? Alors, pourquoi dans un cas l'acte
d'affirmer est-il perçu comme "violent"
(ou "violant"), et dans l'autre comme "pacifique" ?
A cette question Searle pourrait répondre qu'il
s'agit ici d'un acte de langage indirect, pareil à
celui qui existe dans "Peux-tu me passer le sel ?"
Tout locuteur a, effectivement, la possibilité
d'émettre un type d'acte (en l'occurrence l'ordre
de passer le sel) sous couvert d'un autre type d'acte
(ici l'interrogation "Peux-tu me passer le sel ?"),
que l'auditeur peut détecter après une série
complexe d'inférences autour des lois conversationnelles
de Grice. Voilà pourquoi à "Peux-tu
me passer le sel ?" nous ne répondons jamais
par "Oui", ce qui serait le plus logique; nous
donnons le sel comme si nous avions entendu l'ordre "Passe-moi
le sel" 2.
Il en va de même pour "Jésus n'était
qu'un homme". Si l'oreille de l'auditeur chrétien
entend une affirmation, son esprit, quant à lui,
capte une exhortation à la rébellion : "De
mes guides spirituels, j'ai appris que Jésus était
plus qu'un homme, qu'il était le fils de Dieu.
Or, cet individu m'affirme le contraire. C'est donc qu'il
veut contredire ma foi. Mais s'il veut contredire ma foi,
c'est donc pour la disqualifier à mes yeux, c'est
donc qu'il en veut à l'Eglise, c'est donc qu'il
a l'intention de lui faire du tort, c'est donc qu'il fait
campagne pour que tous nous la rejetions, c'est donc mon
ennemi puisqu'il cherche à me faire faire des choses
qui vont à l'encontre de celle-ci..."
Sommes-nous pour autant au bout de notre quête ?
Non. Car Searle ne résoudrait ici que le problème
que soulève la disproportion des forces entre la
première affirmation et la seconde. Mais cela ne
m'explique pas pourquoi dans "Jésus n'était
qu'un homnie" l'esprit de l'auditeur chrétien
se met aussitôt à fuser dans tous les sens
à l'affût d'actes indirects, alors que dans
"Le soleil n'était qu'un glacier" son
esprit, calme et serein, prendra très certainement
l'acte d'affirmation à la lettre, rangeant la non-pertinence
du contenu de la phrase sur le compte d'une simple figure
de discours. La question reste entière. |
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| 1
J.-L. Austin, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil,
1970, p. 129.
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| 2
J.-R. Searle,
Sens et expression, Paris, Minuit, 1982, pp. 87-89. |
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